vendredi 18 février 2011

Pourquoi le président Bouteflika doit-il passer la main

Par : Farid Alilat ( éditorial publié le 6 février)



EDITORIAL. La scène se passe le 09 juillet 1999 à la résidence d’Etat Djenane El Mithak, sur les hauteurs d’Alger. Le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, élu 3 mois plus tôt, reçoit la crème de la presse internationale. Pendant plus de deux heures, le président assure le show et répond à toutes les questions. Interrogé sur son élection contestée d’avril 1999, Bouteflika répond qu’il n’est pas homme à vouloir s’accrocher au pouvoir.

Bouteflika dans le texte : « Oh, vous savez, vous vous trompez complètement si vous pensez que je suis là pour un fauteuil. J'ai fait une traversée du désert de vingt ans et on m'a propose des responsabilités très importantes, y compris celle de chef de l'Etat, et je les ai écartées. Donc, je ne suis pas la...je n'exerce pas le pouvoir pour le pouvoir. »
Quelle semble lointaine cette profession de foi de Bouteflika !
En juillet 1999, il disait ne pas vouloir s’accrocher au fauteuil présidentiel. En février 2011, il s’y accroche encore.
En juillet 1999, il confessait ne pas vouloir s’accrocher à ce fauteuil, en novembre 2008, il n’a pas hésité à amender la constitution de son pays, celle-là même qui limitait l’exercice présidentiel à deux mandats, pour s’offrir un troisième mandat avec un score brejnévien : 90,24 % des suffrages.
Il ne suffisait pas à Bouteflika d’être mal élu en avril 1999, une fois que tous les autres candidats se soient retirés de la course, il ne lui suffisait pas non plus de traficoter les urnes en avril 2004, avec le grand concours de son ministre de l’Intérieur Yazid Zerhouni, pour être réélu à un deuxième mandat. Il lui fallait encore tricher en avril 2009 pour obtenir le score de 90,24 % des suffrages. Mais avant cela, il lui fallait aussi violer la constitution de 1996.
Quelle semble lointaine cette profession de foi de Bouteflika du 09 juillet 1999 dans laquelle il disait : «  Si vous pensez que je suis là pour un fauteuil. »
Ne dit-on pas que les promesses n’engagent que ceux qui y croient.
Maintenant que la « révolution du Jasmin » a balayé le pouvoir dictatorial du président Ben Ali, à l’heure où celui de Hosni Moubarak vacille en Egypte, la question du maintien du président Bouteflika se pose ouvertement.
En Algérie, des partis d’opposition, des syndicats autonomes, des personnalités de la société civile, de simples citoyens, n’hésitent pas désormais à demander le départ du chef de l’Etat pour permettre une véritable transition démocratique.
Certains n’hésitent pas à demander à l’armée, celle-là même qui a permit à Bouteflika de revenir au pouvoir et de s’y maintenir, de prendre ses responsabilités devant l’histoire. C'est-à-dire défaire Bouteflika de ses fonctions.
Rien n’est moins faux que de prétendre que l’Algérie est aujourd’hui assise sur une poudrière. Rien n’est moins erroné que de présager que le pays risque de subir dans un proche avenir les mêmes soubresauts révolutionnaire que ceux que la Tunisie voisine a connus récemment ou que l’Egypte vit à l’heure actuelle.
Que le système politique algérien soit sensiblement différent de celui de la Tunisie ou de l’Egypte n’enlève en rien au fait que l’Algérie présente aujourd’hui tous les symptômes, tous les ingrédients, tous les germes, d’un pays au bord de l’explosion.  Pour illustrer le propos, il suffirait juste de rappeler que l’Algérie a connu en 2010 pas moins de 11 000 émeutes. Les dernières, entre le 4 et le 11 janvier 2011, ont fait 5 morts.
Que l’Algérie soit nettement plus riche, immensément plus riche, que la Tunisie ou l’Egypte - ce qui laisserait croire que les  dirigeants algériens pourraient indéfiniment acheter la paix sociale grâce aux pétrodollars -, n’enlève en rien au fait qu’en Algérie, aussi bien qu’en Tunisie, en Egypte ou au Yémen, la grogne, le ressentiment, le rejet se focalisent autour d’un seul homme : le président de la République.
En Algérie, en l’occurrence, celui-ci porte un nom : Abdelaziz Bouteflika.
Alors la question se pose : faut-il oui ou non que Bouteflika se démette ? Faut-il oui ou non que Bouteflika accepte de céder le pouvoir au risque, s’il se refuse, de plonger le pays dans une tourmente imprévisible ? Faut-il oui ou non que Bouteflika passe la main ?
Oui ! Il est temps, avant qu’il ne soit trop tard, que le chef de l’Etat algérien passe la main, qu’il organise une véritable transition démocratique qui permettrait au pays d’éviter une révolution à la tunisienne, à l’égyptienne.
C’est qu’après douze années passées à la tête du pouvoir, Bouteflika est devenu un vieil autocrate. Disons le franchement, au risque de soulever un tombereau de commentaires, Bouteflika n’est pas un dictateur. Il n’est pas non plus un despote à l’image de Khadafi, de Saddam ou de Kim Jon-Il. Bouteflika est simplement un autocrate.
Malade, démuni, effacé, cet homme âgé de 73 ans, concentre aujourd’hui tous les pouvoirs entre ses mains. En vertu de la révision constitutionnelle de novembre 2008, il a supprimé le poste de chef de gouvernement pour le remplacer par celui de Premier ministre, transformant ainsi celui-ci en simple factotum.
En vertu de cet amendement, décidé par la seule volonté d’un homme, et avec la bénédiction et l’assentiment de la hiérarchie militaire, toutes les prérogatives dévolues au chef du gouvernement sont transférées au siège de la présidence. Or celle-ci est devenue une coquille vide.
Vous voulez une preuve ? La présidence de la république est dépourvue de chef de cabinet ou de directeur de cabinet. Depuis quelques années, c’est le chef de protocole de Bouteflika qui sert de chef de cabinet, de majordome, bref d’homme à tout faire. C’est peu dire que le président Bouteflika s’est saisi de tous les pouvoirs.
Jamais depuis l’ouverture démocratique instaurée en Algérie à fin des années 1980, un chef d’Etat algérien n’a autant privatisé le pouvoir, n’a autant concentré entre ses mains tous les leviers de commande.
Il ne suffisait pas à Bouteflika d’être président, il est devenu au fil du temps son propre Premier ministre, son ministre des Affaires étrangères, le patron de la télévision. Il est même arrivé jusqu’à suppléer aux fonctions du Parlement en usant et en abusant des ordonnances présidentielles. A tel point que l’Assemblée nationale est devenue une caisse de résonance. Bref, une assemblée croupion.
C’est donc cet homme âgé, malade ; ce président qui n’a plus la force de communiquer directement avec son peuple, qui s’accroche encore à son fauteuil ! Quelle gloire pourrait donc grappiller Bouteflika en s’y agrippant ? !
Il n’y aucune gloire à faire valoir au crédit d’un président lorsque celui-ci entame ses douze années au pouvoir avec ce slogan : « Dégage ! »
Le moment est venu pour que cet homme passe la main.
Alors SVP Mr. Bouteflika : DÉGAGE 

lundi 14 février 2011

Témoignage : « Moi, Manel, 25 ans, tabassée par les flics mais fière d’avoir manifesté à Alger »


Les images ont tourné en boucle sur les chaînes internationales. Elles ont illustré d’innombrables articles de la presse de la planète. Ces images sont celles de ces hommes et de ces femmes molestés par la police algérienne lors de la manifestation qui s’est déroulée samedi 12 février à Alger. Parmi ces personnes interpellées, rudoyées, maltraitées par la police, il y avait Manel, 25 ans, venue manifester pacifiquement. DNA a recueilli son témoignage. Le voici brut.

« J’ai 25 ans et j’ai toujours vécu en Algérie. J’ai un diplôme universitaire et je travaille pour une multinationale. Avec quelques amis, j’ai convenu de prendre part à la marche du 12 février. Pour l’Algérie et pour la liberté d’expression.
Aucun de nous n’appartient à une mouvance politique quelconque et nous savons pertinemment que le régime en place restera même si, demain, Boutef dégage. Nous voulions juste nous exprimer et demander un minimum de justice sociale.
Samedi matin, nous descendons donc des hauteurs d'Alger, à pied. Mon père, une amie et moi, avons convenu de retrouver des amis, du moins, deux d’entre eux, au niveau de la place du 1er mai.
Il est 9 h 30 et nous nous dirigeons vers ce « début » de rassemblement qui s'est formé lorsque deux femmes policiers m'interpellent en me demandant si j'étais journaliste. Elles m'emmènent dans une cage d'escalier, me fouillent, fouillent mon sac et trouvent deux petits drapeaux d'Algérie. Elles me demandent alors pourquoi je les ai sur moi.
Je réponds que je suis algérienne et que j'ai le droit de me trimballer avec le drapeau de mon pays si tel est mon désir. Elles demandent pourquoi aujourd'hui spécialement. Je dis que je le fais tout le temps.
Elles décident de m'embraquer au commissariat. Mon père tient à venir avec moi. Je demande à ma copine de partir. Au commissariat, on nous enlève nos papiers à mon père et à moi, puis on nous installe dans un pseudo couloir avec d'autres personnes qui ont été arrêtées avant nous.
D’autres personnes arrivent. Elles sont parquées avec nous. Personne n'a voulu nous dire pourquoi nous étions là. Personne ne voulait non plus nous informer de la suite des événements. On nous demandait juste de fermer nos gueules. (Bellâou femmkoum !)
Quelques instants plus tard, la copine qui était avec moi et à qui j’avais demandé de partir nous a rejoint. Elle avait été reconnue dans la rue par l'une des « fliquettes » qui m'avait embarquée. D'autres femmes arrivent. Elles étaient de tous les milieux sociaux.
Certaines portaient le foulard, d’autres pas. L’une d’elles était pieds nus parce qu'elle avait perdu ses chaussures durant son arrestation musclée
Une journaliste (je ne sais ni qui elle est, ni pour quel journal elle travaille) s'est vue confisquée sa caméra amateur et son sac. Nous n'avions pas le droit d'utiliser nos téléphones. Une jeune femme est arrivée. Elle a sorti son téléphone pour prévenir son mari qu'elle était au commissariat.
Un policier l’a violemment tirée par les cheveux dès qu’il s’en ai rendu compte. La pauvre a traversé toute la pièce, ainsi, tirée par les cheveux. Ensuite, le même flic, voyant mon père à côté de moi, l’a forcé à se lever et à rejoindre les hommes.
J'ai protesté en disant que je voulais rester avec mon père et qu'il n'avait pas à le tirer comme ça. Le flic m'a poussé et m'a demandé de la fermer.
Dès qu’il est parti, nous nous sommes mises à chanter des chants patriotiques. « kassaman », « min djibalina », et autres « djazayer horra dimoqratiya ». Des femmes flics arrivent. Elles sont plus méchantes et plus virulentes que les hommes.
Elles nous forcent à nous asseoir et à la fermer en gesticulant comme des barbares alors qu'il n'y avait dans la salle que des étudiantes, un médecin, une journaliste, une avocate, deux dames d'un certain âge, des militantes pour les droits de la femme ainsi que d’autres femmes avec lesquelles je n’avais pas discuté.
Des femmes civilisées, éduquées et instruites qui étaient là pour marcher pour l'Algérie.
Nous n’avons pas arrêté de chanter, de lancer des youyous, de taper dans les mains. On leur a vraiment foutu de l'ambiance. Le flic qui avait bousculé mon père est revenu et le prend par la gorge.
Une autre femme est plaquée contre le mur. Un policier avait jugé que c’était elle qui menait la pseudo rébellion. Nous commençons alors à crier à l’injustice.
Les femmes flics sont revenues encore plus virulentes qu'avant. Elles nous traitent comme du bétail. Avant, je me disais que c'était bien qu’en Algérie des femmes puissent avoir des postes actifs dans la police. Aujourd’hui, je me rends compte que ce n’était pas une aussi bonne idée que ça.
Nous continuons à chanter. Les flics ayant  marre de nous voir chanter et protester, ils ont tout fait pour nous libérer rapidement.
Ils m’ont relâchée, mais iIs ont gardé mon père. Je peux donc aller manifester le temps qu'ils le relâchent. Relâchée, j’ai retrouvé mes amis, près des arrêts de bus de la place du 1er mai, face aux brigades anti-émeute. Nous scandons nos slogans et les gens nous suivent.
Même ceux qu'on a tendance à considérer comme des « Aâraya » (des va-nu-pieds). Sur la Place, il y a des hommes, des femmes, des jeunes, et des moins jeunes, tous unis.
Les flics nous chassent, mais nous faisons le tour de l’immeuble et nous sommes revenus place du 1er mai. On s'est assis par terre. On a chanté, tapé des mains mais ça a commencé à dégénérer lorsque des supporters de Boutef arrivent pour taper sur les gens. Des voleurs de portables se sont infiltrés parmi les manifestants pacifistes.
Nous quittons la place du 1er mai. Je repars au commissariat chercher mon père. Là, ils ne savent pas où ils l'ont transféré (ou ils ne veulent pas me le dire).
J'ai dû faire 3 commissariats de la capitale pour le retrouver. Heureusement en un seul morceau. Ils l’ont bien traité (il n'est plus tout jeune). Ils lui ont fait passer une visite médicale avant de lui faire signer un PV et de relâcher. Il est resté dans un commissariat de 9h30 jusqu’à 18h.
Ce que je retiens de cette journée du samedi 12 février :
  • Les femmes se sont serrées les coudes au commissariat. A aucun moment elles ne se sont laissées intimider Nous  avons milité même enfermées.
  • Pour le rassemblement, j'ai constaté qu'il y avait des badauds qui nous avaient rejoins, comme quoi l'info ne circule peut-être pas assez bien. Ils nous avaient d’abord pris pour des « arouch » mais quand on leur a expliqué qu'on était juste des jeunes qui en avaient marre, ils se sont ralliés à nous.
  • J’ai l'impression que désormais, il faudra parler de « l'après 12 février ». Même si ce qu'on a fait était minime, on sait que c'est possible. Les jeunes sont là, prêts à affirmer leurs positions.
  • Ce n’est pas parce qu'ils veulent que nous ayons zéro avenir que nous avons perdu espoir.

La matraque, ça suffit!

Il ne leur suffisait pas d’interdire la marche. Il ne leur suffisait pas de déployer 30 000 policiers autour d’Alger. Il ne leur suffisait pas de couper les routes, fermer le trafic ferroviaire, dresser des barrages routiers pour empêcher les Algériens de marcher, de manifester. Il leur fallait encore mieux.


Il leur fallait encore donner des ordres à des policiers, femmes et hommes, pour molester, humilier, bastonner, insulter les manifestants.


Des responsables irresponsables, des boutefeux, des costumés planqués dans leurs bureaux au ministère de l’Intérieur, au siège de la police nationale, des irresponsables en costume, rivés à leurs écrans de transmission, l’oreille scotchée au téléphone, donnaient des ordres pour mater la manifestation.
De leurs bureaux capitonnés, des responsables ont donné, donnait en temps réel, des ordres, des instructions, aux policiers pour sévir. Sévir, bien plus que contenir.
Les témoignages livrés par ceux et celles qui ont été interpellés ce samedi 12 février lors de la manifestation choquent autant qu’ils révoltent. Les brutalités policières exercées à Alger, mais aussi à Oran, sur les manifestants choquent autant qu’elles soulèvent un sentiment d’indignation aussi bien en Algérie, en France, au Canada, en Italie, qu'aux Etats-Unis.
Les images diffusées par les chaînes internationales, ces images publiées sur les sites internet, sur Facebook, sur Twitter, dans la presse internationale, ces images ne laissent aucun doute sur le comportement des policiers algériens.
Ces policiers se sont comportés d’une manière méprisable, ignoble. Inadmissible. Si on peut comprendre que ces hommes et ces femmes ne faisaient qu’obéir aux ordres de leurs supérieurs, on ne peut pas moins récuser, condamner, un tel comportement.
C'est qu'on ne peut admettre, on ne saura jamais accepter, que des policiers puissent humilier, insulter, tabasser, offenser des Algériens simplement parce que ces Algériens veulent exercer leur droit à manifester dans leur pays. A exprimer librement leurs opinions dans leurs pays.
Ce samedi 12 février, la police algérienne a été transformée bien plus qu’en un auxiliaire de la répression.
Ce samedi 12 février, des responsables irresponsables, ont livré une image pitoyable, piteuse, indécente, de la police algérienne.
HONTE A CE RÉGIME