lundi 27 octobre 2008

Crise financière : le spectre de la récession

La crise actuelle fait revivre, mais aide aussi à comprendre la crise de 1929. Tout au long de l'année 1930, M. Hoover, président des Etats-Unis, clame que la reprise est "au coin de la rue". Depuis un an, nos dirigeants ont fait la même chose. Le 24 octobre 1929, le célèbre Jeudi noir, la Bourse dévisse. Les grands maîtres de la finance new-yorkaise, réunis en hâte, s'engagent à soutenir les cours. Wall Street rebondit mais plonge à nouveau le mardi suivant, lors du non moins célèbre Mardi noir. On croit lire le récit des dernières semaines. Hier, une rumeur concernant la solvabilité d'une banque mettait celle-ci en faillite : les déposants lui donnaient le coup de grâce en retirant leurs dépôts. Dans la crise actuelle, ce sont les banques qui ont cessé de se faire confiance, mais la logique est la même : les liquidités s'assèchent, la crise se propage d'un établissement à l'autre, le système financier s'asphyxie lui-même. La différence majeure entre la crise actuelle et celle de 1929 tient à la réponse qui lui a été donnée. Elle se joue dans les jours incertains qui séparent le rejet du plan Paulson par le Congrès américain le 29 septembre, et son acceptation le 2 octobre, ou encore entre le rejet par les Européens d'une approche globale, suivi une semaine plus tard d'un accord général. En 1930, on a laissé les banques faire faillite, mais au nom des mêmes arguments brandis aujourd'hui par ceux qui ne voulaient pas intervenir : "Il n'est pas bon de corriger les erreurs des banquiers imprudents. Ils ont fauté, qu'ils soient punis." Ben Bernanke, dont les recherches universitaires ont contribué à établir la responsabilité des autorités monétaires américaines dans la crise des années 1930, était sans doute le mieux placé pour éviter les erreurs du passé. Pourtant, il a péché du côté qu'il dénonçait dans ses travaux. En laissant mettre la banque Lehman en faillite, il a provoqué l'onde de choc qui a déclenché l'explosion : faillite d'AIG, premier assureur mondial, défaut de Fortis, première banque belge. Le souvenir de la crise de 1929 a pourtant réveillé les consciences, déclenchant les plans américains, anglais et européens. La crise systémique sera donc évitée, mais les choses ne vont, hélas !, pas en rester là. Car la crise financière laisse place à la crise économique. Le Fonds monétaire international (FMI) a publié ses prévisions de croissance pour 2009. Croissance de 0,1 % aux Etats-Unis, de 0,2 % dans la zone euro (et en France), croissance nulle en Allemagne, négative au Royaume-Uni, en Espagne et en Italie. Les prévisions du FMI ont été faites avant le plan européen de sauvegarde des banques, mais après la prise en compte du plan Paulson. Malgré le sauvetage annoncé des banques, le crédit facile ne reviendra pas immédiatement. La première victime attendue est le secteur par lequel la crise s'est déclenchée : l'immobilier. Aux Etats-Unis, la chute des prix s'est déjà déclenchée, sur une pente de baisse de 15 % l'an. En France, les transactions se sont brutalement interrompues. Sur un an, leur chute est d'un tiers dans le neuf, d'un quart dans l'ancien. Les prix résistent encore, mais plus pour très longtemps. Le resserrement du crédit mettra en défaut les entreprises et les ménages les plus fragiles. Aux Etats-Unis, le consommateur américain, qui a soutenu la croissance mondiale en vivant à crédit depuis dix ans, devrait mettre fin à ses excès. Une statistique étonnante donne la mesure de son acharnement à consommer : alors que les inégalités de revenus n'ont cessé de croître au cours des quinze dernières années, on n'observe aucune hausse visible des inégalités en matière de consommation. Le crédit a compensé le revenu comme moteur de la croissance. A présent que cette séquence est cassée, la question est de savoir qui deviendra "le consommateur en dernier ressort" de l'économie mondiale. Beaucoup comptent sur la Chine pour prendre le relais. Mais la Chine est toujours un pays pauvre. Malgré son milliard et quelques d'habitants, son PIB, en dollars courants, est à peine supérieur à celui de la France. On ne devrait pas tarder à redécouvrir que la zone Asie doit une part considérable de sa croissance au dynamisme de ses exportations, lesquelles vont subir le ralentissement de la croissance des pays riches.

L'EXEMPLE SUÉDOIS

Prévoir combien de temps la crise pourrait durer dépendra en partie de la façon dont elle sera gérée. L'exemple le plus convaincant d'une crise habilement contrôlée est celui de la Suède, au début des années 1990. A partir de 1985, le gouvernement suédois décide de libéraliser un système financier jugé sclérosé. La dérégulation provoque une bulle immobilière. Le crédit facile fait plonger le taux d'épargne suédois, qui devient négatif... Puis vint l'heure du retournement. Entre 1991 et 1992, la crise immobilière met en semi-faillite les principales banques du pays. L'Etat entre au capital des banques menacées et les sépare en deux. Une moitié hérite des bonnes créances. La mauvaise part hérite des actifs pourris, lesquels sont confiés à une structure indépendante. En 1993, la Suède touche le fond, et en 1994, la croissance est de retour. En 1997, les structures de défaisance sont liquidées. Le coût fiscal est au final minime. L'exemple suédois a tardé à s'imposer comme modèle de référence. Le plan Paulson ne prévoyait initialement aucune injection de capital, et le plan européen reste opaque sur le rachat de créances douteuses. Progressivement, suite notamment au plan britannique, une vision d'ensemble a fini par émerger, qui se rapproche du "modèle suédois". Or la Suède connaîtra trois années de croissance négative, avant de rebondir. A cette aune, l'année 2010 ne sera pas brillante... La seule bonne nouvelle pour les pays riches, palpable dès 2009, viendra de la chute annoncée du cours du pétrole et de l'ensemble des matières premières. Ce que la hausse récente des prix a retiré à la croissance mondiale pourrait lui être restitué dans les années à venir. Pour les pays exportateurs de matières premières, d'Afrique et d'Amérique latine notamment, ce sera aussi la fin des illusions d'une croissance durable. Dans les pays riches, le retour à une inflation faible devrait permettre, en Europe notamment, de prolonger la baisse des taux d'intérêt. Nul doute que les autorités auront à coeur de ne pas repartir, fleur au fusil, sur les traces d'Alan Greenspan, maître de la baisse des taux, et principal responsable de la débâcle. Mais le spectre de la crise financière fait maintenant place à celui d'une récession majeure. Il était urgent d'empêcher la crise financière, il devient temps d'endiguer la crise économique. Même M. Hoover serait d'accord.