samedi 2 mai 2009

Un des plus grands tueurs en série arrêté


Plus de trente ans après les faits, le «serial killer» qui a traumatisé Los Angeles a pu être confondu grâce à son empreinte génétique.

«Impossible de dire quoi que ce soit. Nous ne savons pas s'il agit seul, s'il est Blanc, Noir, petit, grand, gros ou mince!» avouait, exaspéré et désespéré, le lieutenant Ron Lewis. C'était en décembre 1975. Le corps de Cora Perry, veuve de 79 ans, énième proie en quelques mois du «westside rapist», le «violeur des quartiers ouest» de Los Angeles, venait d'être découvert. Et les rescapées de celui qui tétanise le quartier Wilshire, juste au sud de Hollywood, choquées au plus profond, ne peuvent livrer que des descriptions contradictoires.

La seule certitude: il viole puis étrangle des femmes âgées - Lucy Grant avait 92 ans -, Blanches en général, de milieu très modeste, parfois invalides. «Et il avait un rituel très curieux, précise Stéphane Bourgoin, spécialiste des tueurs en série. Il recouvrait le visage de ses victimes d'un drap ou d'une couverture. Les criminologues appellent ça le undoing, comme s'il voulait annihiler son acte.»

Le «westside killer» est l'auteur de 30 meurtres au bas mot. En deux phases: la première au milieu des années 1970, puis entre 1983 et 1989, cette fois dans la région de Claremont, à 48 kilomètres à l'est de la mégapole. Après quoi, il semble s'être volatilisé et son identité perdue à jamais.

C'était sans compter sur les incroyables avancées scientifiques. Depuis 2001, la police de Los Angeles se constitue peu à peu une base de données, récoltant l'ADN de tous les délinquants sexuels. En octobre dernier, c'est au tour de John Floyd Thomas, septuagénaire, employé dans une compagnie d'assurances, de livrer sa salive. Il n'a jamais figuré sur la liste de serial killers potentiels, mais a été emprisonné à plusieurs reprises pour tentative de viol et viol.

Il y a un mois, le 31 mars, John Floyd Thomas, 72 ans, est arrêté dans son appartement. Confondu par son ADN, il est l'auteur des meurtres d'Ether Sokoloff (68 ans) et Elizabeth McKeown (67 ans), respectivement commis en 1972 et 1976. Très vite les inspecteurs de l'Unité des cas non résolus font le lien avec quatre autres meurtres de femmes. «Et c'est la pointe de l'iceberg», a déclaré aux médias Charlie Beck, chef de la police de Los Angeles. John Floyd Thomas est aujourd'hui plus que fortement soupçonné d'être le plus grand serial killers de la Cité des Anges.

Comment tenter d'expliquer ces crimes abjects, compulsifs, visiblement sans aucune limite? «Ce qui est frappant avec lui, c'est toutes ces cassures dans l'existence. Il n'a aucune carrière structurée, a été marié à cinq reprises», précise Stéphane Bourgoin, qui a parlé avec 57 tueurs en série, et s'est évidemment penché sur le cas du «westside rapist».

«Le fait de s'attaquer à des veilles femmes n'est pas si étonnant, poursuit-il. Les tueurs en série sont généralement des lâches qui s'attaquent à plus faible.» Des proies faibles, veuves, et souvent isolées socialement, ce qui rendait l'enquête d'autant plus difficile à l'époque. «Comme il y a meurtre mais aussi viol, on peut penser qu'il y a une forme de vengeance vis-à-vis de femmes âgées.» Membres de sa famille? D'une personne qui l'a maltraité? L'enquête ne fait que commencer.

dimanche 26 avril 2009

Ce que cachent nos sensations de «déjà vu»


«Je suis déjà venu ici, j'ai déjà vécu ce moment, j'ai déjà vu cette personne...» Nous avons tous connu cette étrange sensation. Jeu de la mémoire, de l'inconscient ou de nos émotions, comment expliquer ces impressions passagères?

Parfois, c'est juste le quotidien qui se décale un peu. Un repas entre amis, et soudain surgit le sentiment d'avoir déjà vécu cette scène au détail près - au point que, pendant quelques instants, elle paraît presque prévisible. Mais que dire lorsque ce «déjà vu» arrive dans une ville où l'on n'a jamais mis les pieds, ou avec des inconnus? Rien, alors, qui puisse rappeler le passé. Et pourtant, là encore, lieu, personnes, événements, tout semble familier.

Etrange sensation où se mêlent surprise, incrédulité, inquiétude, curiosité! Une envie de magie s'y glisse, celle d'un bref passage de «l'autre côté du miroir», du réveil fugace d'un don paranormal permettant de sortir du temps, de voir le futur, de revivre le passé. Et puis tout s'estompe. En quelques secondes le passé redevient connu, le présent incertain et le futur, toujours aussi mystérieux - même si les dernières découvertes sur le cerveau commencent à lever le voile.

Mais cette sensation de «déjà vu», que 60 à 70% des gens disent avoir expérimentée au moins une fois, ne se laisse pas oublier facilement. Elle pose trop de questions sur notre perception du temps, notre conscience et même notre inconscient, comme en témoigne le philosophe italien Remo Bodei dans un livre récent. Si l'expression «déjà vu» ne sera forgée qu'en 1876 par Emile Boirac, le phénomène intrigue depuis l'Antiquité. Les philosophes platoniciens et pythagoriciens y voyaient le souvenir d'une vie antérieure, les stoïciens plaidaient pour «l'éternel retour du même». Aristote, célèbre pour son esprit pratique, avait beau essayer de remettre les choses en place en défendant l'idée d'un simple trouble psychique, rien n'y faisait, le phénomène gardait sa magie. A tel point que saint Augustin, au IVe siècle, s'en inquiéta. Comme après lui l'Eglise, il se méfiait de cette étrange impression, qu'il attribua au démon venant nous tenter avec des idées de vie antérieure ou de réincarnation.

Une telle source d'inspiration ne pouvait pas laisser indifférents les artistes, écrivains ou poètes. «Non, Temps, tu ne te vanteras point que je change!» s'exclame Shakespeare, car tout n'est que «spectacle déjà vu». Au XIXe siècle, le phénomène devient incontournable dans la littérature, de Dickens ou Chateaubriand, qui en était obsédé, à Baudelaire puis à Proust, bien sûr, pour qui la sensation semblait dire: «Saisis-moi au passage si tu en as la force, et tâche à résoudre l'énigme de bonheur que je te propose» (dans «A la Recherche du Temps Perdu»).

Freud lui-même ne résiste pas à cet appel, et trouve au «déjà vu» une place dans sa grille de lecture. Mais ce n'est rien d'autre à ses yeux que la remontée incomplète d'un souvenir refoulé, cachant un traumatisme ou un désir inacceptable pour le surmoi. «En ce qui concerne les quelques rares et rapides sensations de déjà vu que j'ai éprouvées moi-même, (...) il s'agissait chaque fois du réveil de conceptions et de projets imaginaires (inconnus et inconscients) qui correspondait, chez moi, au désir d'obtenir une amélioration de ma situation» (dans «Psychopathologie de la vie quotidienne»).

Comme le rêve, le «déjà vu» serait une expression de nos désirs secrets? «C'est la raison de son «inquiétante étrangeté», estime la psychanalyste Nelly Jolivet: cette confrontation entre familiarité et surprise signale que l'on touche à de l'interdit.» Jung, lui, évoquait un «déjà vu» éprouvé lors d'un voyage au Kenya, alors qu'il croisait un vieillard - figure de l'homme sage -, et reliait cette impression au réveil d'un archétype.

Souvenir caché, désir secret ou représentation symbolique, le «déjà vu» n'a en tout cas plus rien à voir avec les dons paranormaux ou les vies antérieures, et la science du XXIe siècle va donner le coup de grâce aux dernières rêveries. Elle ramène, en effet, à la réalité qu'Aristote avait soupçonnée: une histoire de cerveau qui dérape. L'étude de l'épilepsie - dont les crises sont parfois précédées d'épisodes de «déjà vu» - a permis aux neurologues de repérer le responsable de cette impression: un bref dysfonctionnement dans une zone du cerveau limbique impliquée dans la mémoire autobiographique. On sait provoquer le «déjà vu» par stimulation électrique, et une étude menée à l'Université de Leeds (Royaume-Uni) tente aujourd'hui de le produire par hypnose. Selon une autre explication, le «déjà vu» «normal» proviendrait d'un décalage provoqué par la fatigue, le stress ou l'ivresse dans le système neuronal chargé de distinguer, dans une scène, le connu du nouveau. Embrouillé, notre cerveau prendrait pour un souvenir les messages que les sens lui envoient au présent.

Le «déjà vu» n'est donc qu'une fausse impression, peut-être chargée d'un sens qui reste à découvrir, comme tout ce qui vient de l'inconscient. Faut-il pour autant renoncer à savourer cet étonnant instant? «Même en sachant qu'il n'y a rien de surnaturel, répond le romancier Philippe Janeada, c'est enthousiasmant: le temps qui passe n'est pas aussi puissant, invincible qu'on le dit, puisqu'il semble que nous parvenions, pour quelques millièmes de seconde, à le prendre de vitesse. On se sent fort, on vibre un instant, on a la tête qui tourne et on revient dans la vie normale. Mais un instant, c'est toujours bon à prendre.»