
«Je suis déjà venu ici, j'ai déjà vécu ce moment, j'ai déjà vu cette personne...» Nous avons tous connu cette étrange sensation. Jeu de la mémoire, de l'inconscient ou de nos émotions, comment expliquer ces impressions passagères?
Freud lui-même ne résiste pas à cet appel, et trouve au «déjà vu» une place dans sa grille de lecture. Mais ce n'est rien d'autre à ses yeux que la remontée incomplète d'un souvenir refoulé, cachant un traumatisme ou un désir inacceptable pour le surmoi. «En ce qui concerne les quelques rares et rapides sensations de déjà vu que j'ai éprouvées moi-même, (...) il s'agissait chaque fois du réveil de conceptions et de projets imaginaires (inconnus et inconscients) qui correspondait, chez moi, au désir d'obtenir une amélioration de ma situation» (dans «Psychopathologie de la vie quotidienne»).
Comme le rêve, le «déjà vu» serait une expression de nos désirs secrets? «C'est la raison de son «inquiétante étrangeté», estime la psychanalyste Nelly Jolivet: cette confrontation entre familiarité et surprise signale que l'on touche à de l'interdit.» Jung, lui, évoquait un «déjà vu» éprouvé lors d'un voyage au Kenya, alors qu'il croisait un vieillard - figure de l'homme sage -, et reliait cette impression au réveil d'un archétype.
Souvenir caché, désir secret ou représentation symbolique, le «déjà vu» n'a en tout cas plus rien à voir avec les dons paranormaux ou les vies antérieures, et la science du XXIe siècle va donner le coup de grâce aux dernières rêveries. Elle ramène, en effet, à la réalité qu'Aristote avait soupçonnée: une histoire de cerveau qui dérape. L'étude de l'épilepsie - dont les crises sont parfois précédées d'épisodes de «déjà vu» - a permis aux neurologues de repérer le responsable de cette impression: un bref dysfonctionnement dans une zone du cerveau limbique impliquée dans la mémoire autobiographique. On sait provoquer le «déjà vu» par stimulation électrique, et une étude menée à l'Université de Leeds (Royaume-Uni) tente aujourd'hui de le produire par hypnose. Selon une autre explication, le «déjà vu» «normal» proviendrait d'un décalage provoqué par la fatigue, le stress ou l'ivresse dans le système neuronal chargé de distinguer, dans une scène, le connu du nouveau. Embrouillé, notre cerveau prendrait pour un souvenir les messages que les sens lui envoient au présent.
Le «déjà vu» n'est donc qu'une fausse impression, peut-être chargée d'un sens qui reste à découvrir, comme tout ce qui vient de l'inconscient. Faut-il pour autant renoncer à savourer cet étonnant instant? «Même en sachant qu'il n'y a rien de surnaturel, répond le romancier Philippe Janeada, c'est enthousiasmant: le temps qui passe n'est pas aussi puissant, invincible qu'on le dit, puisqu'il semble que nous parvenions, pour quelques millièmes de seconde, à le prendre de vitesse. On se sent fort, on vibre un instant, on a la tête qui tourne et on revient dans la vie normale. Mais un instant, c'est toujours bon à prendre.»
 
 
